Lors du dernier congrès national de médecine et santé au travail (CNMST) à Montpellier, la médecin du sport et professeure des Universités, Martine Duclos, a préconisé de rompre la sédentarité au travail toutes les 30 minutes pour bénéficier d’effets « démontrés ». Parmi les actions de prévention à mettre en place, l’experte plébiscite le pédalier de bureau.
« Les breaks, ça marche, il faut penser à se lever régulièrement, ça c’est sûr », confirme le 6 juin Martine Duclos, présidente du comité scientifique de l’Onaps (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité) depuis la tribune principale du parc des expositions montpelliérain accueillant la 37ème édition du CNMST. « Cela a un bon effet sur la glycémie, la résistance insulinique, le bilan lipidique et la pression artérielle systolique, égrène-t-elle. Par contre, selon plusieurs méta-analyses récentes, il ne faut plus rompre la sédentarité toutes les heures, mais toutes les 30 minutes durant 1 à 3 minutes pour avoir des effets démontrés. Dans l’idéal, il faudrait se lever toutes les 30 minutes. »
Une recommandation plus exigeante que celle en vigueur aujourd’hui émise par les experts de l’Anses en 2016 (une interruption d’au moins « toutes les 90 à 120 minutes »). Dans une étude publiée le 11 juin, Santé publique France garde par exemple comme référence la fréquence d’interruption d’au moins « toutes les deux heures » lors d’un temps prolongé passé assis*. Mais s’interroge, au fait de ces nouveaux résultats, sur « la fréquence de rupture de sédentarité à recommander actuellement auprès du grand public et de certaines populations spécifiques [comme les travailleurs et les femmes enceintes] ».
« Retenez que se lever toutes les heures, c’est déjà bien et c’est efficace », résume la physiologiste. Se lever permettrait par exemple de compenser « la diminution de la vasodilatation sur les artères des membres inférieurs » consécutive à 3 heures passés assis. Selon l’étude de Santé publique France, la recommandation d’interrompre le temps passé assis au moins toutes les deux heures est citée par 93,9 % des personnes en 2021 et « est associée au fait de la suivre ».
« Plus on passe de temps assis, plus la mortalité augmente »
« Plus on passe de temps assis, plus la mortalité augmente », appuie surtout la conseillère auprès du ministère des sports qui précise que cette relation est « indépendante du niveau d’activité physique ». « Je vous rappelle que l’on peut être physiquement actif et sédentaire. L’un n’empêche pas l’autre ». La mortalité cardio-vasculaire augmenterait « à partir de 6 heures de sédentarité par jour de 4 % par heure ». Et la sédentarité augmenterait le risque de maladies cardio-vasculaires « plutôt autour de 10 heures ».
Des résultats inquiétants alors que la spécialiste estime à 12 heures par jour, le temps passé assis des adultes en France. Selon une seconde étude publiée le 11 juin par Santé publique France, plus d’un adulte sur cinq déclarait passer plus de 7 heures par jour en position assise en 2021. Et la prévalence d’un temps écran de loisirs supérieur à 3 heures quotidiennes atteignait 39 %**.
« La sédentarité est un facteur de risque pour tous les facteurs de risque cardio-vasculaires, d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension, d’hypercholestérolémie et donc, d’augmentation du risque de maladie cardio-vasculaire », insiste la médecin. À long terme, la sédentarité entrainerait aussi « une perte de la masse musculaire, une diminution de la force musculaire, une petite perte de capacité osseuse et une augmentation de la faim en diminuant la satiété ». « Vous n’êtes donc pas gagnant du tout, commente-t-elle. Il faut vraiment lutter contre les effets de la sédentarité. »
« 30 minutes de faible intensité par jour »
Si se lever c’est bien, bouger c’est mieux. « C’est quand même plus efficace d’avoir une activité ambulatoire que rester debout », précise la médecin qui confirme qu’une activité physique journalière peut compenser l’augmentation de la mortalité liée à un excès de sédentarité. Elle l’illustre par les résultats d’une méta-analyse menée en 2023. Les sujets qui réalisent les recommandations d’activité physique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – « les fameuses 150 minutes d’activité physique (AP) d’intensité modérée par semaine », soit 22 minutes par jour – n’augmenteraient pas leur mortalité malgré une sédentarité de 10h30 à 12 heures par jour. « Par contre, si vous faites moins de 22 minutes d’AP d’intensité modérée par jour, tous les jours, là, vous avez une augmentation de la mortalité à partir de 10h30 de sédentarité par jour (en analyse multivariée) », prévient la physiologiste.
Ainsi, les experts de l’Anses recommandent de pratiquer « 30 minutes d’activité physique d’intensité modérée à élevée au moins 5 jours par semaine ». Mais la professeure préfère préconiser « 30 minutes de faible intensité par jour ». « La modérée, ce n’est pas un problème mais la légère est efficace », explique-t-elle, tout en reconnaissant que « dans l’idéal, il faudrait avoir tout le profil de mouvement par jour et le temps passé à dormir [pour évaluer et personnaliser le bon degré d’intensité pour chaque personne] ».
In fine, la professeure conseille de faire « des breaks actifs de 3 minutes une fois par heure sur 7 heures de temps passé assis [3 X 7 = 21 minutes] ». « Comme ça, vous n’êtes pas loin des 30 minutes même s’il faut essayer d’arriver à 30 minutes de faible intensité par jour pour avoir des effets sur vos paramètres cardio-métaboliques », commente-elle. Substituer du temps passé assis par 30 minutes d’AP légère par jour permettrait de « perdre du poids sur le long terme et améliorer pratiquement tous les paramètres cardio-métaboliques de 2 à 4 %. C’est cliniquement significatif. »
« Les conseils seuls, ça ne marche pas »
Du simple conseil, aux bureaux assis-debout ou actifs, en passant par les breaks actifs, la chef du service médecine du sport et des explorations fonctionnelles au CHU de Clermont-Ferrand a passé au crible les moyens à disposition des entreprises pour prévenir la sédentarité au travail. Aux questions de savoir si ceux-ci diminuent le temps de sédentarité, augmentent l’AP, ont des effets cardio-métaboliques ou durent dans le temps, la médecin « n’a pas toutes les réponses, mais quelques-unes » quand même. De quoi lutter contre une sédentarité qui entraine notamment « une moins bonne fonction cognitive, une moins bonne fonction exécutive, une moins bonne mémoire de travail et une diminution de la productivité au travail ».
« Les conseils seuls, ça ne marche pas, coupe-t-elle court. Sans surprise, ce sont les interventions multiples (conseils, formations, bureaux actifs, etc.) qui marchent le mieux. » Les bureaux assis-debout sont intéressants car ils « diminuent le temps passé assis » et « rester assis 8 heures par jour n’est pas bon pour la productivité au travail », insiste la professeure. « Toutes les méta-analyses montrent que cela baisse en moyenne le temps assis de 100 minutes par jour, ce qui est significatif, relève-t-elle. Ça met du temps à agir mais c’est efficace. »
Par contre, concernant les effets cardio-métaboliques, « rien de significatif à 30 mois », prévient-elle. Idem pour la dépense énergétique. « Avec un bureau debout-assis, ne rêvez pas, votre dépense énergétique revient en 5 minutes à votre dépense de repos. Mais vous êtes debout, c’est déjà bien ».
« Ce qui marche très bien, c’est une station type pédalier sous le bureau »
Quant aux « tapis bureaux », ils seraient efficaces mais présenteraient plusieurs inconvénients. « Le problème, c’est que ça coûte cher, c’est encombrant et il y a souvent une fatigue musculaire et une difficulté à la coordination », pointe la médecin qui précise que « l’idée est de ne pas transpirer » pour ne pas perdre la concentration au travail. « Sur un tapis roulant, il faut par exemple marcher à 1,5 voire 2 km/h. Une marche recommandée d’intensité modérée, c’est 4,5 à 5 km/h. Marchez tout doucement. »
En revanche, « ce qui marche très bien, c’est une station type pédalier sous le bureau », avise la professeure qui a conduit une étude sur le sujet. « Au bout de 2 mois, si vous faites 30 minutes de pédalier le matin et 30 minutes l’après-midi, vous diminuez votre cholestérol, votre tour de taille, votre temps de sédentarité de 30 minutes par jour et augmentez votre AP de 35 minutes par jour, avance-t-elle. C’est tout à fait efficace et la faisabilité est très bonne [aucun des 90 sujets sains étudiés n’ont abandonné l’expérience]. » Par ailleurs, la dépense énergétique augmenterait et il n’y aurait « pas de problème » pour la concentration. Côté finances, « le petit pédalier ne coûte pas cher, entre 120 et 200 euros », veut convaincre Martine Duclos.
« Nos montres et smartphones sont vraiment très bien pour mesurer le nombre de pas »
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« Si nos montres et nos smartphones sont nuls pour mesurer la dépense énergétique, ils sont vraiment très bien pour mesurer le nombre de pas », répond la médecin à la question de savoir si le podomètre des montres connectés et des smartphones est fiable. Quant aux alertes de ces objets connectés, elles seraient « intéressantes surtout au début » pour une prise de consience. « Lorsque l’on dit aux gens qu’ils sont inactifs, ils ne se rendent absolument pas compte de leur inactivité, témoigne-t-elle. Si on leur donne un objectif de 5 000 pas, que leur montre ou que leur smartphone indique 1 500 pas, ça aide. » Chiffrer un objectif traçable serait ainsi source de motivation. « Pour certains, cela reste stimulant même sur le long terme. S’ils poursuivent un objectif de 10 000 pas, soit 2h30 de marche par jour, et qu’ils constatent qu’ils n’ont fait que 5 000 à 6 000 pas à la fin de la journée, ils se motivent pour faire 30 minutes de marche supplémentaires ». |
* Cette étude « Connaissance des recommandations sur l’activité physique et la sédentarité, comportements et perceptions : résultats du Baromètre de Santé publique France 2021 » repose sur les données du Baromètre de Santé publique France 2021. L’enquête a été menée sur un échantillon aléatoire de la population résidant en France. L’analyse porte sur 4 571 participants âgés de 18 à 75 ans interrogés sur leurs connaissances sur l’AP et la sédentarité. Des analyses descriptives et des modèles multivariés ont été réalisés.
** Cette étude présente les niveaux d’AP et de sédentarité de la population adulte en France en 2021, à partir des résultats du Baromètre de Santé publique France 2021 (France hexagonale et départements et régions d’outre-mer), ainsi que les facteurs sociodémographiques qui y sont associés. Le dimensionnement de ces enquêtes permet pour la première fois d’estimer ces prévalences au niveau régional.
Source : ©Editions Législatives