7 janvier 2021

A.N.I. 2020 : Projet de loi pour la réforme de la santé au travail

Réforme de la santé au travail : la proposition de loi de Charlotte Parmentier-Lecocq est déposée

Les députées LREM, Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, ont déposé le 23 décembre à l’Assemblée nationale leur proposition de loi sur la santé au travail. Les parlementaires entérinent les grandes lignes de l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020, tout en y apportant leur touche.

Comme elles l’avaient annoncé au lendemain de la conclusion de l’accord national interprofessionnel sur la santé au travail, les députées LREM, Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, ont déposé le 23 décembre à l’Assemblée nationale leur proposition de loi relative à la réforme de la santé au travail. Elles se sont engagées à retranscrire fidèlement l’ANI du 9 décembre 2020, ce qui n’exclut toutefois pas d’apporter leur pierre au texte. « Cet accord n’épuise pas la matière de la santé et de la prévention des risques professionnels », préviennent ainsi les deux députés qui intègrent dans leur texte des dispositions issues de leur travail d’auditions.

Prévention en entreprise :

La proposition de loi reprend les avancées de l’ANI du 9 décembre 2020 en matière de prévention des risques professionnels. Le texte renforce ainsi le rôle assigné au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).

Renforcer le rôle du document unique d’évaluation des risques professionnels

Le texte prévoit une contribution du comité social et économique et de sa commission santé, sécurité et conditions de travail à l’analyse des risques dans l’entreprise. Le service de prévention et de santé au travail doit également apporter son aide à l’évaluation des risques, ainsi que le ou les salariés désignés par l’employeur pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise.

Remarque : l’association du CSE au DUERP s’accompagne d’une meilleure formation de ses membres. La durée minimale des formations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail des membres de la délégation du personnel du comité social et économique et du référent sécurité est ainsi augmentée. Lors du premier mandat, elle est de cinq jours minimum et, en cas de renouvellement, de trois jours.  Par ailleurs, dans les entreprises de moins de 50 salariés, ces formations peuvent être prises en charge par les opérateurs de compétences (Opco). Ces dispositions entreraient en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 31 mars 2022.

S’agissant du contenu du document unique d’évaluation des risques professionnels, il doit répertorier l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs, organiser la traçabilité collective de ces expositions et comprendre les actions de prévention et de protection qui en découlent, regroupées dans un programme annuel de prévention. L’employeur doit transcrire et mettre à jour dans le document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Les résultats de cette évaluation débouchent sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, qui :

  1. fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir qui comprennent les mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution et l’estimation de son coût ;
  2. identifie les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ;
  3. comprend un calendrier de mise en œuvre.

L’employeur doit par ailleurs conserver les versions antérieures du document unique d’évaluation des risques professionnels et les tenir à la disposition des instances et personnes qui seront énumérées par décret. Elles devront également être remises au salarié ou à l’ancien salarié, à sa demande, selon des modalités qui seront fixées par décret.

Créer un passeport formation

Il s’agissait d’une demande de longue date de la CPME, notamment. La proposition de loi acte la création d’un passeport formation, prévu dans l’ANI. Ainsi, l’ensemble des formations suivies par le travailleur et relatives à la sécurité et à la prévention des risques professionnels, dont les formations obligatoires, ainsi que les attestations, certificats et diplômes obtenus dans ce cadre, seront mentionnés dans son passeport prévention.

Remarque : la proposition de loi en profite pour compléter l’article L.1153-1 du code du travail consacré au harcèlement sexuel afin d’y intégrer les agissements sexistes. Actuellement, le sexisme au travail est régi par l’article L.1142-2-1 du code du travail qui prohibe tout agissement sexiste. L’intégrer à l’article L.1153-1 du code du travail permet d’interdire toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ou sexiste, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Améliorer le fonctionnement des services de santé au travail

La proposition de loi consacre – bien sûr – de longs développements aux services de santé au travail.

Créer un socle de services obligatoires

Le texte reprend à son compte la nouvelle appellation des services de santé au travail en « services de prévention et de santé au travail » (SPST), ainsi que l’idée d’un « socle » de services obligatoires prévu par l’ANI. Les services de prévention et de santé au travail doivent ainsi fournir à leurs entreprises adhérentes et à leurs travailleurs un ensemble socle de services obligatoires en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs et de prévention de la désinsertion professionnelle, dont la liste et les modalités seront définies par le comité national de prévention et de santé au travail.

Il est également prévu que les SPST fassent l’objet d’une procédure de certification, réalisée par un organisme indépendant, et visant à porter une appréciation à l’aide de référentiels sur :

  1. la qualité et l’effectivité des services rendus dans le cadre de l’ensemble socle de services obligatoires ;
  2. l’organisation et la continuité du service, l’activité effective, les procédures suivies ;
  3. la gestion financière, la tarification et son évolution.

Promouvoir la santé au travail

Les services de prévention et de santé au travail doivent apporter leur aide, de manière pluridisciplinaire, à l’évaluation et à la prévention des risques professionnels dans l’entreprise et participer à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage. Il est également prévu l’intégration du médecin du travail dans les communautés professionnelles territoriales de santé et les dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexes, afin que le médecin du travail soit partie prenante du parcours de soins.

Répartir les cotisations au sein de services inter-entreprises

Le texte prévoit, au sein des services communs à plusieurs établissements ou à plusieurs entreprises constituant une unité économique et sociale, que les frais font l’objet d’une cotisation proportionnelle au nombre de travailleurs suivis.

Par ailleurs, les services de prévention et de santé au travail interentreprises devront communiquer à leurs adhérents et au comité régional de prévention et de santé au travail et rend public :

  1. les statuts ;
  2. les résultats de sa dernière procédure de certification ;
  3. le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens ;
  4. le projet de service pluriannuel ;
  5. l’ensemble socle de services obligatoires ;
  6. l’offre de services complémentaires ;
  7. le dernier rapport annuel d’activité ;
  8. les indicateurs de son activité, dont la typologie des travailleurs suivis en fonction de leur statut ;
  9. le barème de cotisations, la grille tarifaire et leurs évolutions.

Les conditions de transmission et de publicité de ces documents sont précisées par décret.

Recentrer le rôle du médecin du travail

La proposition de loi réaffirme les missions prioritaires du médecin du travail, tout en permettant de mieux assurer la délégation de certaines de ses missions.

Dès lors, est-il précisé, le chef d’établissement ou le directeur du service de prévention et de santé au travail interentreprises doit prendre toutes les mesures pour permettre au médecin du travail :

  • de passer le tiers de son temps de travail en milieu de travail ;
  • de participer aux instances internes de l’entreprise et aux instances territoriales de coordination, au cours des deux autres tiers de son temps de travail.

Parallèlement, le texte précise le statut de l’infirmier en santé au travail, qui doit disposer d’une formation adaptée. Si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des 12 mois qui suivent son recrutement. L’employeur doit favoriser sa formation continue.

Le texte ouvre également la possibilité pour les infirmiers disposant de la qualification nécessaire d’exercer en pratique avancée en matière de prévention et de santé au travail, et ainsi de se voir déléguer des missions avancées au sein des SPST.

Par ailleurs, un décret en Conseil d’État devra préciser les conditions dans lesquelles le médecin du travail peut déléguer certaines missions prévues par le présent titre aux membres de l’équipe pluridisciplinaire disposant de la qualification nécessaire.

Ouvrir davantage le dossier médical partagé

Les médecins du travail et infirmiers pourront, avec l’accord du patient, accéder au dossier médical partagé afin de favoriser la connaissance de l’état de santé de la personne par le médecin du travail, et notamment les traitements ou pathologies incompatibles avec l’activité professionnelle.
Réciproquement, le dossier médical en santé au travail (DMST) sera accessible aux médecins et professionnels de santé en charge du diagnostic et du soin, notamment afin d’apporter aux médecins les informations relatives aux expositions à des facteurs de risques professionnels du travailleur patient. Il prévoit également que le DMST devra suivre le travailleur tout au long de sa carrière professionnelle.
Lorsque le travailleur relève de plusieurs services de prévention et de santé au travail ou cesse de relever d’un de ces services, son dossier médical devra être accessible au service compétent pour assurer la continuité du suivi, sauf refus du travailleur.

Permettre la télémédecine du travail

Les professionnels de santé au travail pourront recourir, pour l’exercice de leurs missions, à des pratiques médicales à distance relevant de la télémédecine en tenant compte de l’état de santé physique et psychique du travailleur. L’examen médical devra néanmoins être réalisé en présence du travailleur dans les cas où le professionnel de santé considère que l’état de santé du travailleur ou les risques professionnels auxquels celui-ci est exposé nécessitent un examen physique. Les conditions spécifiques de mise en œuvre de ces pratiques médicales à distance en santé au travail sont précisées par décret.

Participation de la médecine de ville à la santé au travail

La proposition de loi, dans la lignée de ce que prévoit l’ANI du 9 décembre 2020, ouvre la possibilité de recourir à des médecins praticiens correspondants, disposant d’une formation en médecine du travail, pour contribuer au suivi autre que le suivi médical renforcé des travailleurs.

Les modalités de formation et les conditions de cette contribution seront déterminées par décret.

Prévenir la désinsertion professionnelle

Afin de prévenir le risque de désinsertion professionnelle, plusieurs mesures sont envisagées.

Mettre sur pied une cellule dédiée

Au sein des services de prévention et de santé au travail, autonomes et interentreprises, une cellule sera dédiée à la prévention de la désinsertion professionnelle chargée de :

  • proposer des actions de sensibilisation ;
  • d’identifier les situations individuelles ;
  • de proposer, en lien avec l’employeur et le salarié, un plan de retour au travail comprenant notamment des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail favorisant le retour au travail.

Cette cellule devra effectuer ses missions en collaboration avec les professionnels de santé en charge des soins, les services médicaux de l’assurance maladie et les organismes en charge de l’insertion professionnelle.

Instituer une visite de mi-carrière professionnelle

Une visite de mi-carrière professionnelle sera réalisée à 45 ans, ou à une échéance définie par la branche, pour établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du salarié. Cet examen médical pourra être anticipé et organisé conjointement avec une autre visite médicale lorsque le travailleur doit être examiné par le médecin du travail deux ans avant l’échéance prévue.

Cet examen médical vise à :

  • établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du salarié, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels auxquelles a été soumis le travailleur ;
  • évaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction de son parcours professionnel passé, de son âge et de son état de santé ;
  • sensibiliser le travailleur sur les enjeux du vieillissement au travail et sur la prévention des risques professionnels.

A l’issue de cette visite, le médecin du travail pourra proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur.

Les modalités d’application devront être précisées par décret en Conseil d’État.

Modifier les visites de pré-reprise et de reprise

La proposition de loi apporte des modifications aux visites de pré-reprise et de reprise. Afin d’organiser le retour d’un salarié dans les meilleures conditions possibles à l’issue de son congé maladie de longue durée, le texte crée le rendez-vous de pré-reprise, permettant à l’employeur, au salarié, au médecin conseil et au SPST de préparer les conditions de ce retour. Lorsque l’absence au travail du salarié est supérieure à une durée qui sera fixée par décret, la suspension du contrat de travail ne fait pas obstacle à l’organisation d’un rendez-vous de pré-reprise entre le travailleur et l’employeur, associant le cas échéant le service de prévention et de santé au travail.

Au retour d’un congé de maternité ou d’une absence au travail justifiée par l’incapacité résultant de maladie ou d’accident, répondant à des conditions fixées par décret, le travailleur bénéficie d’un examen de reprise par un professionnel de santé au travail dans un délai qui sera déterminé par décret. En cas d’absence au travail justifiée par l’incapacité résultant de maladie ou d’accident supérieure à une durée fixée par décret, le travailleur peut bénéficier d’un examen de pré-reprise par le médecin du travail, notamment pour étudier les mesures d’adaptation individuelles.

Faciliter l’accès au dispositif de transition professionnelle

Le texte améliore l’accès au dispositif de transition professionnelle, prévu par la loi Avenir professionnel de 2018. La condition d’ancienneté nécessaire pour entrer dans le dispositif n’est pas exigée pour tous les salariés. Le texte y ajoute une nouvelle exception : le salarié ayant connu, dans les 24 mois ayant précédé sa demande de projet de transition professionnelle, soit une absence au travail résultant d’une maladie professionnelle, soit une absence au travail supérieure à une durée fixée par décret résultant d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un accident non professionnel, prioritaires pour bénéficier d’un projet de transition professionnelle.

Améliorer le suivi de travailleurs précaires

Afin d’étendre et d’améliorer le suivi en santé au travail de certains travailleurs par les SPST, il est prévu que les intérimaires, les salariés d’entreprises sous-traitantes ou prestataires pourront être suivi par le service de prévention et de santé au travail de l’entreprise utilisatrice ou donneuse d’ordre. Dans tous les cas, une convention devra être conclue entre les parties concernées.

La proposition de loi sera examinée en février à l’Assemblée nationale, puis en avril au Sénat.


 

Source : ©Editions Législatives